( Le Figaro, 12.02.2010)
Il y a trente ans, personne n'était riche en Chine. Le magazine «Forbes» estime aujourd'hui à plus de 130 le nombre de milliardaires en dollars. A Shanghaï, des dizaines d'hommes et de femmes connaissent des progressions de fortune inouïes dans l'immobilier, l'automobile, l'aéronautique ou le secteur du luxe.
On s'y tromperait. «A Shanghaï, on fait de l'argent. C'est la matière première et dernière.» Cette description, pourtant, ne concerne pas la ville de 2010, celle des insolents gratte-ciel de Pudong, mais celle de... 1922. Et c'est la légendaire plume d'Albert Londres qui peignait ainsi la flamboyante cité cosmopolite de l'époque. Aujourd'hui, l'argent n'est plus l'apanage des grandes banques occidentales «ressemblant à des cathédrales» ou des trafiquants d'opium comme le terrible Du Yue sheng, chef de la Bande verte et parrain de la ville, sur lequel les Français ne répugnèrent pas à s'appuyer. Les grandes fortunes de la nouvelle Chine, dans leur grande majorité, ont amassé leurs biens dans l'immobilier, puis la Bourse. Mais si les hommes et les af faires ont beaucoup changé, Shanghaï reste bien la ville la plus riche de Chine.
Aujourd'hui, la cité portuaire héberge la plus forte concentration de grosses fortunes chinoises. Et elles sont nombreuses. Les folles années de la croissance à deux chiffres ont été un joli levain pour les nouveaux riches de l'empire. Et, étonnamment, la dernière crise mondiale n'a pas porté de coup d'arrêt à cet incroyable élargissement du club des milliar daires chinois. Le rapport 2009 de l'Institut Hurun constate que, si l'Occident vient de connaître sa plus grande destruction de richesses depuis soixante-dix ans, la Chine a suivi une croissance inverse avec un accroissement de cette richesse. Alors que la Chine comptait 101 milliardaires (en dollars) connus en 2008, ils seraient plus de 130 en 2009. Selon le magazine Forbes, la richesse des 400 premières grandes fortunes chinoises serait passée, en un an, de 173 à 314 milliards de dollars !
L'immobilier, donc, est à la source de l'immense majorité des fortunes chinoises. Et le secteur est plus que jamais porteur. En Chine en général, grâce aux belles liquidités libérées par le plan de relance de 400 milliards d'euros. A Shanghaï en particulier, avec la frénésie de chantiers qui s'est emparée de la ville en ces années précédant l'Exposition universelle.
Charles Tong est le dernier à s'en plaindre. Ce jeune homme à l'allure de dandy sympathique gère l'un des programmes immobiliers les plus luxueux de la ville. Le site de Tomson Riviera est présenté comme le «meilleur emplacement de Shanghaï et même de Chine». D'un côté, vue imprenable sur le Bund mythique et, de l'autre, sur le centre financier de Pudong, le « Manhattan chinois ». Tout un symbole. La Chine d'hier, qui accueillait le monde, et celle de demain, qui part à sa conquête. Tout en haut d'une des quatre tours, le fleuron du programme, l'appartement le plus cher de Chine. Un penthouse de 980 mètres carrés entièrement décoré par Versace et estimé à près de vingt-cinq de millions de dollars... De manière très symptomatique, les clients viennent pour un tiers de Chine continentale, un tiers de Taïwan et Hongkong, et un autre tiers de la diaspora. Sa richissime famille est de Taïwan, et la société familiale, le Tomson Group, a été l'une des premières à s'installer à Shanghaï au début des années 90. «Ma mère est ambassadrice de Monaco à Shanghaï, confie Charles Tong, et elle collectionne les œuvres d'art.» Dans le jardin, des bronzes de Lalanne et de Dalí, pour «faire de l'endroit un vrai lieu d'exception». Le père, lui, a diversifié la compagnie, dans le cinéma notamment, et a coproduit le célèbre film Adieu ma concubine.
Les folles embardées de l'immobilier réjouissent Yue-Sai Kan. «Quand je me suis installée à Shanghaï en 1992, je me souviens que les Hongkongais me traitaient de folle. Ils disaient que la ville était trop rustre, trop primaire, un vrai trou! Regardez où nous en sommes maintenant», raconte cette belle sexagénaire dont l'âge ne se lit guère. La valeur du terrain qu'elle avait acheté à Pudong en 1996 a été multipliée par 50. «Le prix de mon appartement de New York, lui, n'a que quadruplé», s'amuse-t-elle. Yue-Sai est une figure de Shanghaï. Son père était un peintre traditionnel et elle a été élevée à Hongkong. Après des études de musique à Hawaï, elle a rejoint New York où elle a fini par faire de la télévision, pour le réseau officiel chinois CCTV notamment. En 1992, elle sent que les femmes de la Chine des réformes vont pouvoir de plus en plus prendre soin d'elles. Elle fonde la marque de cosmétiques Yue-Sai, qu'elle revend en 2004 à L'Oréal. Le magazine BusinessWeek l'a récemment élue parmi les 40 immigrants qui ont le mieux réussi dans le monde.
D'après les enquêteurs d'Hurun, un tiers de ces Chinois les plus fortunés appartiendraient au Parti communiste. Longtemps, les nouveaux milliardaires rouges ont été vus comme des hommes dont l'épaisseur du compte en banque n'avait d'égal que le mauvais goût. «Bien sûr, il y a encore le riche propriétaire de mines du Shaanxi, qui débarque avec sa suite et dévalise les magasins de luxe sans goût très affirmé, commente Maximin Berko, qui organise une grande foire d'art international au printemps prochain. Mais, de toute façon, l'expression «nouveaux riches» ne veut pas dire grand-chose ici. Il y a trente ans, ils partaient tous de zéro. Et aujourd'hui, ils ont une approche de plus en plus sophistiquée.» Il s'occupe aussi d'une galerie familiale de tableaux du XIXe qui a ouvert il y a quelques semaines auBund 18. Ce magnifique immeuble du Bund, construit par un architecte anglais et qui abrita la Chartered Bank, est aujourd'hui géré par une grande fortune taïwanaise qui y a installé boutiques de luxe - dont Cartier et Patek Philippe -, restaurants, galeries d'art, clubs. Maîtresse des lieux, Vanna Teng est fière d'avoir reçu un prix de l'Unesco pour la superbe rénovation de l'édifice et d'avoir su marier culture et luxe. «L'énergie de Shanghaï nous a fascinés et attirés, dit-elle. Regardez la boutique Patek Philippe. Elle avait prévu de vendre 7 ou 8montres par mois, elle en vend dix fois plus!» Dans le grand hall, un Café de Flore devrait bientôt s'installer.
A Shanghaï et ailleurs, on peut voir monter une nouvelle génération de jeunes milliardaires, les quadras et quinquas du yuan conquérant, fort éloignés de l'image du tycoon compassé et presque mandarinal. Ils ne font pas des affaires en surplis à dentelles, bien sûr, et le seul luxe qu'ils se refusent sont les états d'âme. Mais ils sont de plus en plus soucieux de leur art de vivre, et aussi du sens qu'ils peuvent donner à cette vie.
Un tiers des riches Chinois sont membres du Parti
Elégante jeune femme, fille d'un grand architecte de Shanghaï, Jiang Qiong Er mise sur cette maturité. Elle va lancer cette année ce qui se veut la première grande marque de luxe chinoise au sein du groupe Hermès, en ressuscitant les savoir-faire de l'artisanat traditionnel. Elle voit monter cette «seconde génération de riches» qui s'intéresse à l'art, crée des fondations, se lance dans le mécénat. «Leurs parents, moins éduqués et moins raffinés, les ont envoyés faire leurs études à l'étranger, explique-t-elle, et ils connaissent tous parfaitement le monde et son fonctionnement.»
Derrière le nouveau gotha des milliardaires chinois gravite aussi un second cercle d'heureux et confortables millionnaires. Toujours selon Hurun, depuis 2004, le nombre de Chinois possédant une fortune de plus de 150 millions de dollars a été multiplié par 10, passant de la centaine au millier. Leurs passions peuvent aussi rimer avec affaires.
C'est le cas pour Tian Yu, passionné d'aviation qui a fait fortune dans les modèles réduits et entend bien devenir le roi de l'avion élec trique piloté. Dans les hangars deYuneec, à une heure de Shanghaï, deux modèles, un monoplace et un biplace, qui ont fait leurs premiers vols l'été dernier. L'homme qui a déjà vendu 400 000 de ses hélicoptères miniatures espère vendre 1 000 de ces vrais avions en trois ans. «On est en pointe, et nous avons le premier avion électrique conçu d'emblée pour une production de masse», assure-t-il. En attendant, il termine sa formation de pilote pour obtenir le brevet américain.
T. J. Ren, lui, préfère l'asphalte aux plafonds aériens. Shanghaïen, il a maintenant la nationalité américaine et partage sa vie entre Seattle et, «de plus en plus», Shanghaï. Il anime le club des fans de Porsche de la mégalopole chinoise. Régulièrement, ceux-ci louent le circuit de Shanghaï pour se donner quelques belles sensations. Ou partent en Finlande conduire sur la glace, à Dubaï sur le sable... La Chine est devenue le troisième marché pour Porsche, derrière les Etats-Unis et l'Allemagne, et pourrait être en deuxième position dès l'an prochain. Rien qu'à Shanghaï, il s'en est vendu mille l'an dernier. La progression est inouïe. «Le premier revendeur a ouvert en2001 à Pékin, raconte Ingrid Sun, chargée de communi cation de la marque en Chine.En 2002, il s'en est vendu27 dans tout le pays, plus de2000 en2004 et 7615 en2008.» Et ce, malgré des taxes à l'importation qui rendent ces voitures trois fois plus chères qu'ailleurs.
En Chine, plus encore que dans les autres pays, il y a le visible et le caché. Hurun estime que l'on peut, en fait, doubler le nombre de ces milliardaires. Derrière les personnalités très m'as-tu-vu se cache en effet toute une caste de milliardaires de l'ombre. Une discrétion qui s'explique par leur culture, leur sensibilité personnelle, mais aussi sans doute une certaine prudence. Comme pour les oligarques russes, la chute peut parfois être rude. Le numéro un de l'année dernière, Huang Guangyu, patron du « Darty » chinois, a été arrêté fin 2008, accusé de manipulation boursière. Le signal a été bien reçu.
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